Orthoptie et autisme

L’autisme touche 650 000 personnes en France, soit 1 personne sur 88, et 5 fois plus de garçons que de filles sont touchés. Autrement dit, ça fait du monde pour un trouble du développement dont on parle encore trop peu !

Pour la petite histoire…

En 2016, un petit bout de 4 ans passe la porte du cabinet et son papa m’annonce qu’il présente un trouble du spectre de l’autisme. Ce n’était peut-être pas la consultation la plus simple que j’ai eu (et c’est loin d’avoir été la plus compliquée non plus), mais ça été la plus marquante. J’ai vu l’errance de son regard (= difficulté à fixer), son aversion pour le regard social (=regarde très peu dans les yeux, voir pas du tout), ses mouvements oculaires perturbés (=les yeux « sautaient » beaucoup donc plus dur de « saisir » des informations avec ses yeux pour lui !) et je me suis dit… Mais attends, pourquoi on ne propose pas de bilan orthoptique (et parfois un suivi) à ces enfants qui semblent en avoir tellement besoin ?! Et là ce fut le début d’une belle remise en question professionnelle pour moi…

D’une part parce que je voulais l’aider mais je n’avais pas de bagages assez solides. J’ai commencé une formation sur Paris, un Mooc, … Et puis pas de secret, j’ai pratiqué. Mais pour pratiquer, il me fallait des patients présentant un trouble du spectre de l’autisme (=TSA) justement, et j’étais persuadée, je le suis toujours, que l‘orthoptie avait pleinement sa place dans le suivi de ces enfants. Ici, je vous parle d’enfants principalement parce que c’est la population de patients que je connais le plus, mais il en est de même pour une population adulte. J’ai donc pu rentrer en contact avec la structure accueillant ce petit garçon, où la médecin de service (une perle) a toute suite accepté que je vienne présenter un petit PowerPoint sur le lien vision-autisme à toute l’équipe. Ce qui a d’ailleurs contribué à mes premières recherches bibliographiques sur le sujet. A partir de là j’ai eu, et j’ai toujours, le plaisir d’accueillir régulièrement des petits lapins TSA afin de bilanter leurs aptitudes visuelles, et parfois de les rééduquer (certains n’en n’ont pas besoin et c’est tant mieux).

Pour info, j’ai pu intégrer l’équipe pour quelques mois l’année d’après afin de réaliser mon stage de M1. Il reçoivent des enfants TSA de 5ans maximum. Ce stage a été tellement enrichissant sur le plan professionnel !

L’autisme

D’ailleurs, faut quand même que je vous définisse l’autisme : c’est un trouble du neurodéveloppement d’origine neurologique qui se manifeste par une altération de la communication, des interactions sociales (absences d’expression faciale, difficulté d’attention conjointe*), du comportement/activités restreints ou répétitifs. L’enfant pourra alors parler de sujet qu’il l’intéresse sans chercher à savoir si son interlocuteur est intéressé ! Alors oui, il peut y avoir un retard intellectuel mais pour « seulement » 36% des patients présentant un TSA !

On peut aussi retrouver une hypo ou hypersensibilité aux bruits, odeurs, lumières… D’où l’intérêt de chercher ce à quoi est sensible visuellement l’enfant : la luminosité le stimule ou le freine ?

Les troubles visuels retrouvés chez les patients présentant un TSA sont nombreux et de plus en plus présents dans la littérature. Pourtant, leurs prises en charge orthoptique reste encore limitées, souvent par manque de formation des orthoptistes ou encore par manque de communication auprès des familles sur ce que pourrait apporter l’orthoptie à leur enfant. Des troubles visuels ok, mais lesquels ?

*attention conjointe : capacité à interagir avec l’autre, à partager un évènement ou encore maintenir une attention commune vers une personne ou un objet.

Les différents troubles visuels retrouvés dans l’autisme

Si on parle souvent d’atteintes de la motricité précoce de l’enfant avec TSA (hypertonie ou hypotonie), la coordination visuo-manuelle est également impactée, c’est-à-dire la capacité à aller chercher précisément l’objet avec sa main, ses doigts. Je ne vous refais pas la boucle sensori-motrice d’un mouvement rassurez-vous. Pour attraper quelque chose, il faut réussir à ajuster correctement sa main, ses doigts, pour attraper cet objet, ce qui est d’autant plus dur lorsque celui-ci est en mouvement ou encore assez petit. Pour faire simple, pour un mouvement bien ajusté, il faut que l’œil indique la bonne position de l’objet ou encore visualise sa bonne trajectoire s’il est en mouvement, pour que la main s’ajuste correctement. C’est cet ajustement du mouvement, cette coordination visuo-manuelle, qui peut être atteinte dans l’autisme !

On peut également retrouver un trouble de la perception visuelle. En effet, chez le tout petit, le système visuel va permettre l’interaction avec autrui, cette dernière étant essentielle au développement des interactions sociales dès le plus jeune âge. Dans l’autisme on parle de difficulté de perception globale. On dit souvent que la personne avec TSA « voit l’arbre avant la forêt », soit une vraie difficulté à traiter une scène dans sa globalité.

Il peut aussi exister un manque de l’exploration de l’espace, voir une difficulté de traitement visuel des images, c’est-à-dire une difficulté à comprendre, bien traiter, interpréter, l’information visuelle sociale que véhicule un visage. On parle « d’atypie de traitement des stimuli sociaux ».

On retrouve d’autre part, des troubles de l’oculomotricité, avec une moins bonne précision des saccades, des difficultés au niveau des poursuites, entrainant un manque de précision visuelle et des difficultés à maintenir l’attention ! Les difficultés visuo-attentionnelles retrouvées dans l’autisme engendre une difficulté à orienter correctement son attention, ce qui a directement des conséquences sur l’efficacité de la recherche visuelle !

Pour terminer, les patients avec TSA sont également plus susceptibles de développer (13,5% de plus !) des troubles visuels comme un strabisme ou une amblyopie.

BON, là vous devez commencer à comprendre l’importance et la pertinence d’un suivi orthoptique! Et bien sûr, plus l’intervention est précoce, plus tôt on pourra apprendre à l’enfant à mieux utiliser son regard, l’entrée de tellement d’apprentissages !

L’accompagnement orthoptique

On commence bien sûr par un bilan complet, en tout cas le plus complet possible en fonction du matériel à disposition, des capacités de l’enfant et de sa motivation du jour ! Première complication car il n’existe pas de test normé pour l’enfant avec TSA. On ne panique pas, le but c’est d’explorer au mieux comment l’enfant utilise ses yeux et si cela peut entraver son éveil global, pas s’il répond à une « norme » précise. Il faut avoir une approche la pus écologique possible, soit la plus proche des conditions réelles, de la vie quotidienne de l’enfant. On regarde le port de tête de l’enfant quand il explore, s’il regarde le visage de ses parents (visages connus), le notre (visage inconnu), qu’est-ce qui l’attire en jouet/activité/matériel dans le cabinet, comment il va venir fixer ce dernier, combien de temps, est-ce qu’il se rapproche… Même si le patient ne présente pas de langage, le regard peut en dire long, croyez-moi ! Il est important de lui proposer beaucoup de choses différentes, et de créer une interaction avec l’enfant : « donne-moi le cube rouge, peux-tu l’empiler sur le mien, faire la même construction, montre-moi le chat sur la carte, peux-tu enfiler ces perles », etc…. Des activités basiques, adaptées en fonction des possibilités de l’enfant. Et bien sûr on complète avec le maximum de tests « purement » orthoptiques (l’acuité visuelle étant primordiale) possibles.

Par la suite, en fonction des résultats du bilan, un accompagnement, des séances, pourront être proposées. Cette rééducation peut être atypique car le travail au bureau, assis n’est pas toujours possible, en tout cas au début, mais c’est ça qui est chouette! Ça nous pousse, en tant qu’orthoptiste à travailler en « conditions réelles », et ça je trouve que ça demande certes beaucoup de réflexions mais que l’apport pour l’enfant comme pour nous est énorme ! Cet accompagnement orthoptique pourra, à terme, permettre à l’enfant de se sentir moins « surcharger » visuellement, d’avoir un regard plus organisé, et de mieux interpréter les informations visuelles, notamment d’un point de vue social (mimiques du visage, émotions).

Pour finir, n’oubliez pas qu’un simple contrôle visuel, orthoptique et/ou si besoin ophtalmologique est nécessaire pour ne passer à côté de rien (comme un besoin de lunettes !!), avant de pousser plus loin dans d’autres tests visuels !

Je vous laisse une petite bibliographie concernant une approche beaucoup plus scientifique et pointue que la mienne si cela vous intéresse !

Parents, praticiens et rééducateurs de l’enfant, prenaient conscience de l’importance d’un regard plus fonctionnel !

Orthoptistes, formez-vous, faites-vous confiance et communiquez autour de vous !

Camille F.

Autisme : une vision qui se focalise différemment

Troubles du spectre de l’autisme et troubles de la fonction visuelle

Lien entre fonction visuelle et traitement des émotions faciales

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